Les Gilets jaunes se seraient structurés notamment du fait du nouvel algorithme de Facebook. Ce mouvement social marque surtout une défiance accrue envers les corps intermédiaires et met de nouveau en lumière les manières alternatives de construire la démocratie via Internet et les réseaux sociaux.
Le 29 Mai 2018, Priscilla Ludovsky lance une pétition en ligne réclamant une baisse du prix des carburants et, six mois plus tard, cette pétition atteint plus d’un million de signatures. Début octobre, Eric Drouet et Bruno Lefèvre lancent sur Facebook un appel pour un « blocage national contre la hausse du carburant ». Reprenant cette idée et appelant au blocage des routes et ronds-points, de nombreuses vidéos deviennent virales et comptabilisent pour certaines plusieurs millions de vues quelques semaines après. Un mois plus tard, pour ce qui a été le point d’orgue médiatique du mouvement des Gilets jaunes -jusqu’à maintenant-, le ministère de l’Intérieur recensait 136000 manifestants dans toute la France et, rien qu’à Paris, 133 blessés et 412 arrestations. Comment un tel mouvement, protéiforme et sans structure initiale apparente, a pu ainsi faire vaciller le pouvoir en place ?
Plusieurs analyses ont été avancées. L’une des plus populaires d’entre elles explique que le nouvel algorithme de Facebook a joué un rôle déterminant dans la structuration du mouvement. Début 2018, Mark Zuckerberg annonçait la mise en place d’un nouvel algorithme sur son réseau social. L’objectif ? Mettre en avant le contenu publié par les proches, favoriser les groupes et événements impliquant ses amis au détriment des fils d’actualité des médias traditionnels. Ce changement d’algorithme est officiellement une réponse à la controverse sur la diffusion des fake news par certains médias et une volonté pour Facebook de revenir à sa mission originelle de mettre en relation ses utilisateurs. Cette nouvelle mise en avant des groupes par affinités a sans doute joué un rôle dans la construction du mouvement des Gilets jaunes. Quant à la minoration de la diffusion des fake news, le résultat est pour le moins discutable comme le montre par exemple l’histoire du Pacte de Marrakech.
Des corps intermédiaires en perte d’influence

Outre cette structuration en ligne, la contestation sociale en cours se caractérise également par son rejet des corps intermédiaires. Si certains médias ont été pris à partie physiquement en marge de manifestations, l’inaudibilité des opposants politiques et des syndicats est encore plus symptomatique. Aucun parti n’a réussi à « récupérer » le mouvement à son avantage; le côté protéiforme de la contestation rendant l’exercice -il est vrai- délicat. Surtout, les Gilets jaunes se sont volontairement maintenus à l’écart des responsables politiques. Même François Ruffin par exemple, pourtant probablement l’un des plus à même d’incarner politiquement le mouvement, a reçu une fin de non-recevoir. Quant aux syndicats, ils sont restés à l’écart du mouvement, soulignant plus volontiers la violence des débordements que la colère sociale qui se manifestait. Il faut dire que les leaders syndicaux voient sans aucun doute d’un mauvais œil leur perte d’influence au profit de certaines figures de proue des Gilets jaunes.
Tout ceci n’explique pas néanmoins le contexte social à l’origine du mouvement. D’autre part, cette mobilisation en ligne et cette envie -ce besoin?- d’une démocratie plus directe ne sont pas propres aux Gilets Jaunes. Ainsi, de manière intéressante, on a pu voir le 8 décembre 2018 l’acte IV des protestations coïncider avec la 3ème Marche pour le climat. Amenés à perdurer, ces rassemblements pour le climat ont vu le jour… suite à un événement créé sur Facebook par Maxime Lelong, journaliste. Plus généralement, depuis quelques mois, une lutte contre le changement climatique s’organise en ligne via notamment les initiatives ou le concours de Youtubeurs populaires (https://onestpret.fr/, https://ilestencoretemps.fr/, https://laffairedusiecle.net/). S’il ne faut pas minimiser l’importance du travail de fond des associations, ONG et partis politiques écologiques depuis de nombreuses années, ainsi que leur participation à l’organisation des mouvements actuels, force est de constater que la lutte contre le changement climatique s’incarne aujourd’hui à travers ces mobilisations en ligne où vedettes du web, humoristes et acteurs.trices notamment sont mises en avant.
Démocratie représentative, liquide et directe

Plus généralement, cette tendance à une démocratie plus directe s’est matérialisée depuis quelques années à travers diverses initiatives sur le Net. On rappellera ainsi que dans le cadre des présidentielles 2017 s’est organisée la première primaire ouverte à tous les citoyens afin de désigner un candidat indépendant (LaPrimaire.org). Elue, Charlotte Marchandise n’a néanmoins pas pu réunir les 500 parrainages nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle. D’autres initiatives plus radicales ont vu le jour à l’étranger. Né en Suède en 2006 en réaction à une loi interdisant le peer-to-peer, le Parti Pirate (PP) a ainsi développé des outils intéressants. La branche allemande du PP a par exemple œuvré à la mise en place d’une plateforme permettant d’instaurer une démocratie liquide. Alors que dans une démocratie représentative, les représentants du peuple, élus, votent les lois, que dans la démocratie directe, l’ensemble de la population exerce directement le pouvoir législatif, la démocratie liquide se situe en quelque sorte à mi-chemin de ces deux systèmes. Sur liquidfeedback.org, les citoyens peuvent voter directement pour ou contre les propositions de projets ou en présenter de nouveaux, déléguer leur vote à une autre personne du réseau en qui ils ont confiance et qu’ils estiment plus compétente quant au sujet dont il est question.
Divers avatars d’une démocratie directe sont en outre apparus ces dernières années : Nuit Debout, Occupy ou le Mouvement des Indignés pour ne citer que ceux-ci. Prolongement des Indignés espagnols, le parti Podemos s’est largement appuyé sur les outils numériques afin de proposer une nouvelle offre globale pour faire de la politique autrement : espace de discussion et de prise de décision on-line via un logiciel dédié (Loomio), création d’un espace forum sur Reddit (Plaza Podemos), utilisation d’une application afin d’identifier les sujets à aborder et les opinions émergentes (Appgree), etc. Certains objecteront que les Indignés d’hier se retrouvent aujourd’hui devant une situation bien particulière. Alors que le mouvement s’est notamment constitué en opposition au système politique, il se retrouve dorénavant incarné par un parti politique « traditionnel ». Le paradoxe est réel mais n’enlève rien au développement de ces solutions numériques et à l’émergence de ces nouvelles façons de débattre en démocratie.
Finalement, si les réseaux sociaux et Internet sont bien souvent accusés de faire le jeu du populisme -on peut citer Facebook en ce qui concerne la dernière élection présidentielle américaine ou Whatsapp pour son équivalente brésilienne- une telle critique permet également et surtout un impensé politique de la crise sociale qui traverse les démocraties occidentales. Les logiciels en open source et les réseaux sociaux peuvent au contraire fournir de nombreux outils pour favoriser l’engagement politique, faciliter les mécanismes de prise de décision et redynamiser les processus démocratiques. En bref, construire pleinement une démocratie 2.0.
Pour aller plus loin:
Le coup d’Etat citoyen – Elisa Lewis & Romain Slitine
La Découverte – 224 pages

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